Les débuts et la Finance
Arrivé chez Orange, France Télécom à l’époque, en Espagne pour diriger le rapprochement entre Amena, Wanadoo Espagne et France Télécom Espagne, Gervais Pellissier a été nommé Directeur financier fin janvier 2006.
Avec ses nouveaux collaborateurs et fort des 22 ans qu’il a passés chez Bull, il a réussi à mettre en place une culture de gestion industrielle et de la compréhension du métier par les contrôleurs de gestion, de l’importance de créer de la valeur ajoutée et la façon dont on gagne et perd de l’argent. Tout cela a notamment facilité une réduction très importante de la dette : à son arrivée il en y avait encore presque 40 milliards et quand il est parti il n’en restait que 27. Toute l’entreprise a fait ensemble cet effort.
Il espère avoir aussi réussi à changer l’image des financiers : pour que la direction financière ne soit pas associée à l’image de réduction des coûts – elle est en charge du contrôle de gestion et de tous les indicateurs, pas uniquement de la réduction des coûts, pas uniquement de la trésorerie.
Et l’Europe ?
En ce qui concerne l’Europe, Gervais, en se sentant très profondément européen, a adoré s’en occuper.
Dans tous nos pays en Europe il y a une espèce de ferveur autour de la marque qui est extraordinaire – par exemple en Moldavie, pays de 3 500 000
habitants entre l’Est et l’Ouest, y compris culturellement, pour un jeune, travailler dans le numérique c’est aller chez Orange.
Il aimerait bien qu’en France aussi on revienne à se dire : « Je voudrais travailler dans le numérique et donc chez Orange ». C’est une chose pour laquelle nous devons tous travailler car les derniers classements sortis des écoles de commerce et d’ingénieurs montrent qu’on est loin d’être le premier choix. Il faut qu’on retrouve cette image parce que c’est un enjeu essentiel pour le développement dans le futur.
L’Europe, c’est la convergence : nous avons pris le virage, dans tous les pays où nous sommes présents, de la convergence fixe et mobile. Nous l’avons pris plus vite que beaucoup de nos concurrents et avec plus de réussite, malgré de certaines difficultés ici ou là.
Orange est un Groupe qui peut apporter énormément de satisfaction dans le développement personnel, dans la diversité et c’est pour ça que nous aimons cette entreprise – il vit cela au quotidien.
ACSED : quelle est votre feuille de route pour le nouveau poste et quel champ va couvrir la transformation : RH, le management, le leadership, l’optimisation des coûts, la structure, les partenariats, la digitalisation, l’organisation, l’innovation… ?
Gervais Pellissier : « Préciser la feuille de route c’est aussi lire entre les lignes. Dans le communiqué d’annonce de la nouvelle équipe, nous avons dit que Ramon Fernandez était en charge de la finance et de la performance, ce qui veut dire qu’on dissocie d’une certaine façon transformation et performance. Cela ne veut pas dire que ça ne vise pas aussi à l’amélioration de la performance économique, mais ce n’est pas l’objectif principal de la transformation.
Ce que nous voulons faire, c’est améliorer et transformer nos façons de travailler pour et à travers l’expérience de nos clients.
D’où le fait de mettre dans l’équipe transformation l’équipe de France Héringer-Jallot. La ligne directrice de la transformation du groupe c’est clairement le client.
La deuxième ligne directrice est le salarié, ce qui explique l’arrivée de l’équipe de Philippe Trimborn, qui travaille à travers Oz, les outils digitaux comme Plazza et l’expérience salarié, ainsi que le conseil interne.
Le troisième volet, c’est le projet Bridge : un symbole d’une nouvelle manière de travailler ensemble grâce à l’environnement de travail, un symbole qui ira
au-delà de concerner juste le siège du Groupe à Issy-les-Moulineaux car beaucoup d’autres projets sont en cours ou prévus.
Le point majeur de la feuille de route, c’est retrouver de l’agilité, l’envie de travailler ensemble, plus simplement, plus rapidement.
Il y a bien entendu un côté stressant à tout changement mais notre rôle de manager c’est aussi d’assumer une partie de ce mouvement pour nous et pour nos collaborateurs. C’est à nous d’intégrer un peu plus que ce qu’on demande à l’ensemble des salariés d’Orange.
Il faut être conscient qu’il n’y a jamais de position acquise ; tous ceux qui sont aujourd’hui sur le front commercial en France, que ce soit chez OBS ou chez Orange, le savent. Ce qui veut dire qu’il faut tout le temps être en mouvement. Dans le business on est en guerre de mouvement en permanence sur un terrain qui bouge, sur des nouveaux terrains. Avec la banque par exemple, nous cherchons les nouveaux concurrents et nous essayons de gagner des parts de marché : nous sommes à l’offensive.
Une culture managériale adaptée, un esprit d’initiative, une confiance renouvelée dans nos pairs, nos collaborateurs, nos chefs et dans nous-mêmes, du courage pour prendre des risques et la capacité d’accepter l’échec, la simplicité dans nos relations – tout cela fait partie du changement culturel qui s’ouvre à nous.
La Transformation, c’est aussi de travailler sur les grands processus transversaux du Groupe : d’allocation de ressources, de décision, d’innovation : pour les alléger et les rendre plus efficaces.
Chacun d’entre nous peut apporter sa pierre, Orange est ouvert à toutes les suggestions. La réussite passera par la participation du plus grand nombre y compris ceux qui sont contre.
Nous sommes tous tellement divers : en compétence, en expérience professionnelle, en histoire personnelle. Nous devons essayer d’embarquer tout le monde.
Chacun doit et peut y trouver sa place avec un sentiment d’utilité. »
ACSED : une demande forte des Agences Entreprises : « Simplifiez-nous la vie ! Et cela va se voir dans nos résultats ! »
GP : « Je crois qu’il faut être prêt à se dire que nous avons des priorités communes entre le monde de l’entreprise, le grand public et la technique. Les priorités du quotidien ne sont pas toujours alignées, contrairement aux grandes priorités.
Néanmoins, les choses évoluent ; à titre d’exemple : lors d’un récent séminaire qui s’est tenu entre les équipes dirigeantes d’OBS et d’Orange France la journée s’est passée à discuter dans un climat constructif, avec une volonté claire d’avancer sur les sujets communs. Ça peut prendre un peu de temps, mais les choses changent. »
ACSED : « le lâcher prise », c’est quelque chose qui intéresse de plus en plus les grandes entreprises pour réussir les transformations. Par exemple Accenture qui a fait l’acquisition récemment d’Octo, une société de conseil, pour s’inspirer de son modèle de management qui est basé sur le système des tribus un peu comme Spotify.
Chez Orange est-ce que ce genre de réflexion est dans le « pipe » et comment réfléchit-on à faire évoluer notre modèle de management ?
GP : « C’est déjà mis en place dans certains endroits du Groupe comme en Espagne, puisqu’Orange Espagne a commencé par réorganiser les équipes de la marque Jazztel en mode agile. Ça fait 600 personnes et l’objectif d’Orange Espagne est d’avoir la moitié des effectifs organisé en tribus et escadrons, pour franciser les noms utilisés dans le temps. Il y a un vrai travail social à faire qui change le rôle du manager. Ce n’est plus toujours un rôle d’autorité hiérarchique. Cela change aussi le rapport du manager à ses équipes parce que ce sont les équipes qui s’autogèrent ou qui sont en télétravail.
Il faut accepter que nous n’avancions pas tous au même rythme. Ça, c’est aussi un point important dans une entreprise très égalitaire comme la nôtre, surtout en France. Il faut accepter que certains avancent plus vite que d’autres et c’est à nous, managers, et en particulier au management d’en haut, de s’assurer qu’on garde de la cohérence et qu’on ne déborde pas.
Il faut que chacun trouve ce qui fait sa force, c’est notre force collective et il faut accepter la diversité entre nous comme dans une famille. »
ACSED : à la direction de l’exploitation du SI, dans le cadre de Oz, nous nous posons la question de monter une structure de free-lance au sein d’Orange est-ce que ça vaut le coup ou est-ce risqué ?
GP : « Ce n’est pas parce que c’est risqué qu’il ne faut pas le faire. Je suis plutôt pour essayer des choses : Orange étant une structure suffisamment importante pour tenter des expériences différentes sans mettre en péril l’ensemble de l’entreprise. Il va falloir accepter peut-être que certains de nos collègues qui arrivent,notamment la jeune génération, travaillent différemment.
Je crois qu’il faut accepter la diversité des modes de travail mais penser à rester une entreprise juste etéquitable. »
ACSED : pour la partie OBS, dont vous avez pris la présidence, comment cela se passe-t-il entre un Président et un Directeur général ?
GP : « Pour préciser : ce n’est pas une présidence juridique puisqu’OBS n’est qu’une partie de l’activité. Quant au mode de fonctionnement, j’ai un bureau au siège d’OBS à Orange Stadium mais je ne participe pas régulièrement aux réunions du Codir d’OBS : c’est vraiment Helmut Reisinger qui est le patron hiérarchique de l’ensemble des équipes d’OBS. Je suis un Président non exécutif.
En plein accord avec Helmut, j’accompagne la Direction des Grands Comptes (DGC) vis-à-vis de certains comptes français de grands groupes.
Deuxième sujet sur OBS auquel je veux m’intéresser, c’est la partie développement à travers les fusions-acquisitions.
Troisièmement, je suis là pour aider à retravailler justement le sujet des relations d’OBS avec Orange France oud’autres entités – mais pas comme arbitre. »
ACSED : le fait qu’Helmut soit étranger, c’est un signe d’ouverture forte ?
GP : « Helmut est dans le Groupe depuis de nombreuses années et je trouve que vis-à-vis de nos collègues non français du Groupe, ça donne le signal que l’on peut aussi accéder au Comité Exécutif même si on n’est pas de nationalité française et que l’on n’a pas fait 20 ans de carrière en France.
C’est d’ailleurs plus que juste un signal : je pense que nous avons à apprendre, nous Français, de nos collègues étrangers. En revanche, il faut qu’ils aient envie de travailler dans une entreprise dont les racines culturelles sont françaises.
Mais nous comptons aussi sur eux pour corriger nos défauts et qu’ils gardent un esprit critique tout en apportant une façon de faire. La nomination d’Helmut salue aussi sa réussite dans le redressement de l’international.
Ce que l’on attend de lui, c’est surtout de nous apporter cette culture internationale y compris dans le pilotage des grands clients qui sont presque tous internationaux, eux aussi. »